rejoindre l'Accueil de RENORTHO
- RENORTHO -
Bulletin d'information de la
Paroisse orthodoxe de RENNES
Saint Jean de Cronstadt et Saint Nectaire d'Egine
Archevêché de tradition russe du Patriarcat de Constantinople






Réflexions sur deux Evangiles (Luc, VIII 26-30)
"Jésus chez les Gadaréniens (Géraséniens)" et "la femme hémorroïsse"



Lors de la liturgie présidée par notre archevêque, une des lectures évangéliques avait trait au séjour de Jésus chez les Gadaréniens (Luc, VIII 26-30), mais Mgr Gabriel préféra avec raison nous rappeler les principes de la vie chrétienne. Toutefois, l’importance de ce texte ainsi que celui du dimanche suivant sur la femme hémorroïsse, m’ont incité à en présenter deux brefs commentaires ou réflexions qui en suivront le texte :
« Puis ils abordèrent au pays des Gadaréniens, qui est vis-à-vis de la Galilée. Quand Jésus fut descendu à terre, il rencontra un homme de la ville, qui depuis longtemps était possédé des démons : il ne portait point de vêtement, et demeurait, non dans une maison, mais dans les sépulcres. Dès qu'il vit Jésus, il poussa un cri, se jeta à ses pieds, et dit d'une voix forte : « Qu'y a-t-il entre toi et moi, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ? Je t'en prie, ne me tourmente pas. » Jésus, en effet, commandait à l'esprit impur de sortir de cet homme, car depuis longtemps l'esprit remportait avec lui : on avait beau le garder enchaîné et les fers aux pieds, il brisait ses liens et était entraîné par le démon dans les déserts. Jésus lui demanda : « Quel est ton nom ? — Légion », répondit-il ; en effet, plusieurs démons étaient entrés en cet homme ; et il se mit à supplier Jésus de ne point commander à ces démons d'aller dans l'abîme. Or, il y avait là un grand troupeau de pourceaux qui paissaient sur la montagne, et les démons le supplièrent de leur permettre d'aller dans ces pourceaux ; et il le leur permit. Étant donc sortis de cet homme, ils entrèrent dans les pourceaux, et le troupeau se rua du haut du précipice dans le lac, et se noya. A cette vue, les gardeurs s'enfuirent, et répandirent la nouvelle dans la ville et dans la campagne. Les gens sortirent pour voir ce qui était arrivé ; ils vinrent vers Jésus et trouvèrent l'homme de qui les démons étaient sortis, assis à ses pieds, vêtu et dans son bon sens ; ce qui les remplit de frayeur. Les témoins de ce fait leur rapportèrent aussi comment le démoniaque avait été guéri. Toute la population de la contrée voisine des Gadaréniens le pria de s'éloigner de chez eux, parce qu'ils étaient en proie à une grande frayeur. Jésus étant entré dans la barque, s'en retourna. L'homme de qui les démons étaient sortis, lui demanda de rester avec lui, Jésus le renvoya en lui disant : « Retourne dans ta maison, et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi. » II s'en alla et publia par toute la ville tout ce que Jésus avait fait pour lui. »

La seconde partie du huitième chapitre de l’Évangile de Luc nous apprend aussi beaucoup sur la vie chrétienne. Après avoir mis à mal les relations familiales, affirmant la priorité de la Parole écoutée et pratiquée sur la parenté du sang, après avoir montré sa puissance sur les éléments en apaisant une tempête et sur la mort en ressuscitant la fille de Jaïre, il guérit, comme en passant, une hémorroïsse et un fou dangereux. Avec ce dernier, il rencontre un échec cuisant auprès de ses concitoyens qui, non seulement ne lui permettent pas d’entrer dans leur ville (Gadara ou Gérasa), lui suggérant même de quitter rapidement leur territoire. Devant cette série ininterrompue de moments forts, notre attitude est sélective. Lorsque Jésus s’en prend aux liens familiaux, on préfère ne pas entendre, devant l’annonce de la résurrection de la jeune fille, on ricana, ce qui serait certainement notre attitude dans la même situation, mais devant les guérisons nous avançons en pays connu, c’est-à-dire que l’on s’intéresse plus aux détails des récits qu’au fait lui-même, tant la liste des guérisons de Jésus est impressionnante. Et pourtant, l’échec de Jésus chez les Gadaréniens est riche d’enseignement.

Les Gadaréniens géraient parfaitement leurs malades psychiques dans une société entièrement tendue vers le profit. Ils ne les tuaient pas, ils les « enfermaient » en dehors de la cité. Tout était donc bien dans le meilleur des mondes. Par contre si quelqu’un, un Juif de surcroît, s’avisait de guérir ces malades en écornant le capital de la cité, rien n’allait plus. Jésus guérit un malade qui, maintenant peut entrer dans la cité, mais lui, Jésus, est considéré comme dangereux par ses habitants et condamné à rester à l’extérieur et même de retourner au plus vite d’où il venait. Par cette guérison Jésus déstabilise un système parfaitement rodé avec son commerce et l’isolement des non-productifs qui rappelle le nôtre. Cette guérison apparaît finalement aux yeux des Gadaréniens non comme un bien, mais comme un mal, tant le prix à payer leur semble exorbitant. Et là, nous sommes à nouveau placée devant la question fondamentale posée par le Christ lui-même : que vaut un homme ? Rien, dans notre monde déchu, bien moins qu’un troupeau de pourceaux, mais dans le Royaume, il n’a pas de prix en tant que créature divine. Mais, dans ce chapitre de Luc, il y a un autre récit enchâssé dans celui de la résurrection de la fille de Jaïre et qui a trait à celle que nous appelons l’hémorroïsse : « Pendant que Jésus s’acheminait (vers la maison de Jaïre), la foule le serrait à l’étouffer. Et une femme qui était atteinte d’une hémorragie depuis douze ans, et qui avait dépensé tout son bien en médecins, sans qu’aucun d’eux eût pu la guérir, s’approcha par derrière, toucha la houppe du manteau et au même instant son hémorragie s’arrêta. Et Jésus dit : « Qui m’a touché ? » Comme tous s’en défendaient, Pierre et ceux qui étaient avec lui, dirent : « Maître, la foule t’entoure et te presse, et tu demandes qui t’a touché ! » Mais, Jésus répondit : « Quelqu’un m’a touché, car j’ai senti une force sortir de moi. »
La femme voyant qu’elle n’était pas restée inaperçue, vint toute tremblante se jeter aux pieds de Jésus, et déclara devant tout le monde, pour quelle raison elle l’avait touché, et comment elle avait été guérie. À l’instant, Jésus lui dit : « Ma fille, ta foi t’a guérie ; va en paix. »


En plus du caractère vivant de ce récit, n’oublions pas que saint Luc était médecin, nous y trouvons une belle illustration de la prière et de la confession. En effet, la foule entourait Jésus, le serrant à l’étouffer. Beaucoup d’entre ceux qui étaient là, l’auraient été pour un quelconque magicien, un prophète des rues, mais bien peu étaient persuadés qu’ils voyaient le Fils de l’homme, le Vivant. Nous faisons exactement la même chose avec nos prières. Nous assaillons le Christ de formules auto-matiques, de mots ressassés, ne laissant pas même à Dieu le temps de nous répondre. Puis, au milieu de tous ces mots souvent vides, qui l’enserrent, comme une foule avide de miracles, le Christ perçoit tout à coup une parole vraie, venue du fond du cœur, et il l’exauce immédiatement, tournant vers celui ou celle qui l’a prononcé, sa face de tendresse. Alors, tout s’effondre, tous les blocages, les défenses, la honte et même la pudeur. Cette femme à genoux aux pieds du Christ, avoue tout haut son impureté, risquant à n’être pour les autres qu’objet de mépris. Elle en est récompensée par la guérison et la paix. Existe-il plus bel exemple de ce qu’est en vérité la confession, non celle d’une série toujours incomplète de fautes, mais l’aveu de ce qui était jusqu’alors l’inavoué, l’inavouable qui est toujours le manque d’amour, mais qui prend chez chacun une ou des nuances particulières. Dire vrai, bien loin du parler vrai de nos politiques, c’est trouver par l’Esprit les mots de la prière véritable qui est toujours confession et de la confession véritable qui est toujours prière exaucée.

Père Jean ROBERTI


Haut de Page