L'icône,
comme toute chose, n'est pas née du néant.
Certains
historiens de l'art iconographique prêtent aux
icônes
orthodoxes une origine qui remonterait jusqu'aux
célèbres portraits de
Fayoum, représentations funéraires d'une vigueur
exceptionnelle,
attribués à des peintres grecs, datant pour la
plupart du 1er et 2e
siècle de notre ère, et miraculeusement
conservés jusque-là grâce au
climat sec des zones ensablées d'Égypte. Chez les
chrétiens, la légende de St
Luc donne
une naissance officielle à l'art des icônes de la
Vierge
Marie, portraits exécutés d'après
nature. D'autres
experts situent plus
volontiers cette origine aux premières fresques de l'art dit
"juif" ou
aux fresques des synagogues plus précisément.
Malgré une interdiction
formelle quant aux représentations imagées du
Dieu unique, on note
cependant que les premières images christiques viennent de
cette
période (3e siècle apr. J.-C.). Ces fresques,
véritables livres de
scènes bibliques, ornementaient des pans entiers dans les
synagogues du
monde judaïque. Vraisemblablement, ce serait au cours de la
transition
vers le christianisme que les peuples juifs nouvellement convertis
auraient décidé de faire de cet art de la fresque
biblique, un art
mobile, le volant aux murs, en quelque sorte, pour le plaquer ensuite
sur des supports transportables, notamment des plaquettes de bois ou
des poteries d'huiles saintes.
Quelques siècles plus tard les modèles byzantins
deviendront la référence de la peinture
d'icônes ;
des canons stricts furent édictés au cours des
premiers
conciles de l'Eglise et s'appliquèrent à toutes
les
formes d'art sacré.
Ces
nouveaux chrétiens voyagèrent
ensuite et immigrèrent
dans plusieurs contrées du monde, amenant avec eux leur
science de la
fresque qu'ils reproduisirent à petite échelle.
Ainsi serait née
l'icône, miniaturisation de scènes bibliques et
talisman protecteur
pour ces croyants nomades et bien souvent
persécutés.
On retiendra
deux courants majeurs de cet art byzantin : les ateliers
impériaux et
les ateliers monastiques. De ces deux tendances naîtront de
nombreuses
écoles, notamment l'école arabe d'Alep et les
nombreuses écoles russes,
dont celle de Moscou et de Novgorod.
On
reproche souvent aux spécialistes des arts de ne voir
dans
l'iconographie orthodoxe que des considérations
esthétiques ou
archéologiques. Or il s'agit d'un art de transmission pour
les croyants
orthodoxes. Non seulement un art de la transmission de la vie
dogmatique et spirituelle de son Église, mais aussi un art
qui
représente le peuple de ses croyants à travers
les époques, les
régions, les mœurs, les contextes
socio-politiques, bref à travers leur
histoire. C'est pourquoi une icône byzantine racontera une
histoire
différente d'une icône
russe, c'est pourquoi une
icône de l'école de
Moscou révélera complètement autre
chose qu'une icône de l'école de
Novgorod.
Pour de nombreux théologiens du culte, cet art
sacré dépasse
largement la simple incarnation de Dieu, de Jésus le Christ,
de la
vierge Marie, de l'Esprit Saint ; il s'agit d'une
révélation qui vit
bien au-delà des limites du temps. L'icône occupe
donc une place
d'importance dans l'Église orthodoxe : elle est le symbole
d'une foi
vivante qui traverse les époques chargée de son
message divin.
Pour
les profanes, l'iconographie orthodoxe est davantage une
richesse culturelle et historique, il est vrai. Elle
témoigne d'une
culture exceptionnelle et renseigne les différents experts
et
chercheurs sur
l'évolution des peuples orthodoxes ; ce sont
des cartes
identitaires d'une valeur inestimable, en plus de
représenter un
caractère artistique des plus admirables. Elle nous informe
sur les
mouvements de la foi, sur les divisions et les rapprochements
dogmatiques, sur la vie et les mœurs des nombreux croyants,
etc. Sa
disposition même dans les églises et les
cathédrales est le reflet
d'une hiérarchie qui élève l'homme
vers le divin. Peinte sur différents
types de bois, particulièrement le tilleul, et souvent
exposée sur
trois rangées que l'on nomme registres, les icônes
forment un discours,
un enseignement, un historique. On retrouve sur le registre du bas les
icônes des notables ou de personnages de la vie quotidienne.
Sur la
rangée du centre, aussi appelée
Déesis, on peut admirer les icônes
représentant Dieu, Jésus, la Vierge, le
Saint-Esprit ou les saints.
Enfin, le registre du haut se consacre aux icônes
célébrant les fêtes
ou les événements importants de l'histoire
biblique : l'Annonciation,
le baptême de Jean, la Crucifixion, la
Résurrection, etc.
On ne peut bien sûr passer sous silence les artistes de
l'iconographie, ces virtuoses d'un art qui véhicule la foi
de façon
aussi vibrante. Les saints iconographes, les maîtres
peintres, les
moines et les artistes peintres de toutes époques
contribuèrent avec
passion à la diffusion de ces images saintes.
Théophane le Grec (vers
1330-vers 1410), né à Byzance, fut sans doute le
mieux connu d'entre
eux. Certaines de ses œuvres ont été
préservées dans quelques églises
de Russie, là où il se réfugia au
début du déclin culturel de Byzance.
Il aurait œuvré à l'église
de la Nativité de la Vierge (1395), à la
Cathédrale de l'Archange Saint-Michel (1399), et
à la Cathédrale de
l'Annonciation (1405), en plus d'avoir sous sa gouverne, et comme
élève, le célèbre Andrei
Roublev (vers 1365-vers 1428). Connu
mondialement pour son icône : La Trinité, que l'on
considère comme un
sommet dans l'art iconographique russe, le moine Roublev reste le grand
maître de l'école de Moscou.
En Grèce, c'est dans l'église du Protaton,
à Karyes au mont Athos, que
se trouve la magnifique série d'icônes peintes par
Emmanuel Panselinos
(14e siècle). On peut également admirer des
œuvres iconographiques
orthodoxes au monastère Saint Nicolas Anapafsa, attribuables
à
l'hagiographe et maître de l'école d'iconographie
crétoise, le moine
Theophanes Strelitzas Bathas (15e-16e), dit Théophane le
Crétois. Il
aurait également peint différentes fresques de
monastères du mont Athos
et des Météores.
Dans les pays arabophones, syriaques et chaldéens orthodoxes
et
catholiques, nestoriens, monophysites, maronites, coptes,
arméniens,
éthiopiens, melkites, donc chrétiens d'Orient,
connurent également le
culte des icônes. C'est à travers
l'œuvre de Yusuf al-Mussawir (Joseph
l'Iconographe), mort en 1667, et de ses descendants, que l'iconographie
arabe a imposé son style. Un style où la douceur
des traits, la
richesse des couleurs ainsi que les inscriptions désormais
en langue
arabe ont lentement éclipsé la tendance
byzantine.
Aujourd'hui, plusieurs iconographes laïcs ou religieux suivent
rigoureusement la tradition et peignent des icônes d'une
grande beauté.
Pourtant, si leur facture peut sembler plus
léchée, plus stylée, on
ignore si le message dont elles sont porteuses atteint les niveaux de
vérité et de foi que véhiculaient
leurs ancêtres. C'est peut-être
pourquoi les icônes d'autrefois suscitent autant
l'intérêt des
historiens et archéologues du monde entier et que
l'iconographie
contemporaine laisse bien souvent perplexe… |